Même si les distributeurs affichent chaque année des ventes e-commerce record, la réalité en coulisses est un peu moins réjouissante.
On estime qu’environ 24 % des articles achetés lors des périodes de forte affluence — soit près d’un article sur quatre — sont susceptibles d’être retournés. Chaque retour déclenche un effet domino : augmentation des coûts logistiques, désorganisation des stocks et accroissement de l’empreinte carbone. Alors que les attentes des clients en matière de retours simples et rapides se heurtent à la réalité de chaînes d’approvisionnement sous tension, c’est la pérennité même du commerce en ligne qui est en jeu.
Dans un univers concurrentiel où les marges bénéficiaires sont extrêmement réduites, optimiser la gestion des retours n’est plus seulement une question opérationnelle : il s’agit désormais d’une priorité stratégique. Il est temps pour les distributeurs de repenser leur approche des retours. Plutôt que d’appliquer une solution uniforme, ils doivent privilégier une stratégie personnalisée. En anticipant et en gérant proactivement les retours, les enseignes peuvent transformer ce point de friction coûteux en véritable avantage concurrentiel, protégeant ainsi leurs marges tout en offrant une expérience client enrichie.
Traditionnellement, les chaînes d’approvisionnement visent à optimiser l’acheminement des produits vers leur point de vente ou de livraison finale, dans les meilleurs délais.
La plupart des entreprises considèrent les retours comme une contrainte inévitable et hésitent à s’attaquer directement au problème en raison de sa complexité.
La distance parcourue par un produit retourné a un impact direct sur les coûts logistiques et le nombre de manipulations, dégradant potentiellement la valeur du produit et rognant les marges.
D’où l’importance d’un nouvel indicateur clé, le « margin miles ». Au même titre que les autres KPI, cet indicateur doit être priorisé afin d’optimiser les processus de retour, récupérer de la valeur, réduire l’impact environnemental et renforcer la fidélisation client.
Avec l’évolution des comportements d’achat et l’émergence de politiques telles que le « returnless refund » (remboursement sans retour), il devient essentiel pour les distributeurs de se doter de capacités avancées pour transformer la gestion des retours en levier de différenciation.
L’analyse des motifs de retour révèle des dysfonctionnements - tant côté distributeur que consommateur.
Les distributeurs sont responsables de certaines négligences récurrentes, telles que les dommages subis par les produits lors du transport ou encore les livraisons retardées ou erronées. D’autres insuffisances peuvent également être relevées, comme des descriptions produits incomplètes ou une gestion peu efficace des prix et des promotions, par exemple lorsque le prix est systématiquement réduit toutes les 24 heures.
Un grand distributeur était ainsi confronté à un taux de retour particulièrement élevé sur l’un de ses produits phares, un téléviseur connecté de 50 pouces. L’analyse des données de retour a révélé que les principales causes étaient des dommages survenus pendant la livraison, des accessoires manquants ou des problèmes d’installation, mettant en évidence des défaillances du côté du transporteur partenaire. En exploitant des modèles de machine learning, nous avons pu analyser les schémas de retour et recommander un autre prestataire logistique, permettant ainsi de résoudre le problème à la source.
De même, pour un autre acteur majeur du secteur, nous avons contribué à résoudre la problématique des produits de grande valeur fréquemment signalés comme manquants après livraison sur le pas de porte du client. En incitant le distributeur à revoir les créneaux de livraison pour ces articles sensibles afin de mieux s’aligner sur la disponibilité des clients, nous avons permis d’assurer non seulement une livraison rapide, mais aussi plus fiable et sécurisée.
Les consommateurs qui abusent des politiques de livraison et de retour des enseignes contribuent tout autant à l’augmentation des retours. Les retours en série posent d’ailleurs davantage de difficultés que les erreurs opérationnelles, car il s’agit d’un phénomène comportemental. Si certains clients manipulent le système en pratiquant le « bracketing » (commander plusieurs tailles ou modèles pour ne conserver qu’un article) ou le « wardrobing » (retourner un vêtement après l’avoir porté), ils sont souvent capables de contourner les contrôles d’identité classiques. Les distributeurs doivent donc aller au-delà du simple nom de compte ou identifiant de connexion et prendre en compte d’autres paramètres, tels que les moyens de paiement utilisés ou le code postal de livraison, pour identifier ces profils à retours excessifs. En nouant des partenariats avec des prestataires de paiement et des fintechs comme Klarna ou Clearpay, ils peuvent obtenir une vision beaucoup plus complète des comportements transactionnels de leurs clients.
L’IA permet désormais aux distributeurs d’anticiper les retours, d’en mesurer l’impact sur la marge et de personnaliser l’expérience client.
Typiquement, les clients, avec un taux de retour <10 %, sont généralement fiables et fidèles soit un article retourné sur dix. Il est préférable de ne pas les pénaliser, car ils ont tendance à partager leur expérience positive en matière de retours, ce qui peut contribuer à attirer de nouveaux clients.
En fonction du motif du retour et des caractéristiques du produit (valeur, fragilité, produit hors saison ou en fin de cycle), l’IA peut déterminer s’il est préférable d’optimiser le parcours de retour ou d’opter pour un remboursement sans retour physique (« returnless refund »). Par exemple, si un client retourne un article en invoquant un dommage survenu lors du transport et fournit une photo à l’appui, il est souvent plus avantageux, quelle que soit la valeur du produit, de privilégier le remboursement sans retour afin d’éviter des frais de traitement supplémentaires qui pourraient encore réduire la marge bénéficiaire.
Le taux de retour des clients de ce segment se situe entre 40 et 50 %, soit 4 à 5 articles retournés sur 10. Toutefois, l’impact sur la marge reste relativement faible.
Pour bien appréhender ce segment, il est indispensable d’adopter une vision globale du comportement client. L’IA permet d’analyser les différents schémas d’achat et de retour selon les périodes : jours ordinaires, opérations promotionnelles, saisons festives, lancements de nouveaux produits ou événements personnels comme les anniversaires. Généralement, ces clients achètent plusieurs tailles ou variantes d’un même produit lors des promotions, puis en retournent la majorité. Il convient donc d’identifier automatiquement ces profils à retours fréquents et de surveiller leur panier pendant ces périodes. Si plusieurs tailles ou couleurs d’un même article sont sélectionnées, il est pertinent de les inciter explicitement à valider leur choix et de leur proposer des alternatives adaptées, tout en rappelant discrètement leur historique de retours. Cette approche aide les distributeurs à encadrer les comportements d’achat impulsifs et à sensibiliser les clients aux conséquences de leurs décisions, notamment en ce qui concerne les éventuels frais liés aux retours.
Les clients de cette catégorie retournent peu d’articles, mais chaque retour a un impact significatif sur la marge, principalement en raison de la valeur élevée des produits concernés et du coût de leur remise en état avant revente. Il est donc essentiel de collecter et de traiter ces retours de manière économique afin de pouvoir les remettre en vente le plus rapidement possible. Par exemple, en cas de livraison erronée d’un produit électronique haut de gamme, la création immédiate d’une commande de remplacement permet de vendre l’article au prix fort, évitant ainsi une perte de chiffre d’affaires tout en renforçant la satisfaction client.
Plutôt que d’engager un processus de retour long, coûteux et risqué, susceptible d’entraîner des dommages supplémentaires lors du transport et d’affecter la rentabilité, il est préférable de rediriger ces articles vers des points de vente de proximité où ils pourront être revendus à plein tarif, tant qu’ils sont encore de saison. En s’appuyant sur l’IA pour analyser les motifs de retour, identifier les opportunités de préserver la vente et adopter des méthodes de traitement économiquement viables, il devient possible de limiter l’impact négatif sur la marge bénéficiaire.
Faites preuve de vigilance avec ce segment de clientèle, car il regroupe souvent les plus gros acheteurs, qui sont également susceptibles de pratiquer le « wardrobing ».
Une analyse approfondie s’impose pour ces clients, compte tenu de l’impact important sur la marge bénéficiaire. Il est essentiel de vérifier si d’autres clients ayant acheté le même produit l’ont également retourné, et d’examiner les motifs de ces retours. Imaginons, par exemple, qu’un produit ait été acheté par 50 clients sur une même période, tous servis par le même centre logistique et le même transporteur : si plus de 50 % d’entre eux retournent l’article en raison d’une erreur de livraison ou d’un dommage, cela révèle un dysfonctionnement récurrent que le distributeur doit traiter en priorité. Ce type de situation doit être immédiatement signalé afin d’améliorer la qualité opérationnelle du centre de distribution et du partenaire logistique, et ainsi prévenir de futurs retours.
Il convient également d’analyser les catégories de produits présentant les taux de retour les plus élevés dans ce segment — électronique, habillement, accessoires de mode — et de mettre en place des stratégies tarifaires et promotionnelles spécifiques, comme offrir une remise sur le prochain achat pour récompenser les clients qui ne retournent pas leurs articles. Par ailleurs, il est pertinent de rechercher des modes de livraison plus efficaces et économiques : si une expédition depuis un magasin local est possible, cette option doit être privilégiée pour réduire les coûts logistiques. Il peut aussi être judicieux de proposer des alternatives telles qu’une commande de remplacement incluant le retour gratuit, ou encore d’appliquer des frais de retour adaptés afin de limiter l’impact sur la marge. Enfin, instaurer des modalités de retour différenciées — par exemple, n’accepter les retours en magasin que pour certains produits à forte valeur — peut constituer un levier dissuasif efficace.
Par ailleurs, les entreprises qui ont adopté l’optimisation budgétaire pilotée par l’IA constatent une augmentation de 30 % du retour sur investissement publicitaire (ROAS), grâce à une allocation dynamique des budgets en fonction des données de campagne en temps réel. La gestion budgétaire automatisée permet également de réduire de 12 % les dépenses publicitaires inutiles, garantissant ainsi une utilisation optimale des ressources pour maximiser l’efficacité des campagnes.
En outre, l’IA améliore la mesure de l’incrémentalité, aidant les marques à distinguer les conversions organiques des conversions payantes et à prendre des décisions d’investissement plus éclairées. Le ciblage prédictif permet d’identifier et d’atteindre les consommateurs à fort potentiel d’achat, affinant ainsi l’allocation des budgets pour de meilleures performances publicitaires.
Il n’existe pas de solution miracle pour faire disparaître totalement les retours.
En pratique, les articles retournés finissent souvent écoulés via des promotions, des ventes à des grossistes ou dans des magasins de déstockage, ce qui réduit considérablement leur potentiel de revente au prix fort. Les distributeurs doivent donc élaborer une stratégie fondée sur l’analyse des données afin de déterminer dynamiquement le canal de revente le plus pertinent pour chaque type de retour. L’impact des retours sur les « margin miles » varie selon le secteur, la nature du produit et le choix du canal logistique, tant pour la livraison initiale que pour le traitement des retours. Cependant, en adoptant une stratégie d’exécution et de gestion des retours adaptée, et en personnalisant le parcours client grâce à la data et à l’IA, il devient possible d’atténuer l’effet des retours sur les marges, de réduire les points de contact liés aux retours, de limiter les efforts d’emballage et d’expédition, et ainsi de préserver l’équilibre de l’écosystème.